Voyage dans le futur en Normandie

27 juillet 2013,

butte Bec HellouinCe n’est pas la permaculture extrême de Masanobu Fukuoka ou du jardin-forêt des Fraternités ouvrières mais c’est une production durable de nourriture saine sur de toutes petites surfaces et c’est en France, près de Rouen.

LA MÉTHODE DE LA FERME DU BEC HELLOUIN POUR LES MARAÎCHERS

Produire beaucoup sur un petit espace, fournir en légumes l’alimentation de 1000 individus par la culture d’un terrain dont la superficie n’en nourrirait pas 50 si l’on y appliquait les procédés ordinaires, et si l’art ne venait pas en aide à la nature, tel est le problème posé chaque jour à la culture maraîchère des environs de Paris, et le problème a chaque jour sa solution.
« La culture maraîchère pratique des environs de Paris » I. Ponce – 1869

Le jardin maraîcher parisien du XIX° siècle mesurait en moyenne de 4000 à 8000 m2. Un maître maraîcher a donné ce conseil : « Choisissez toujours la plus petite parcelle de terre possible, mais cultivez-la exceptionnellement bien ». Un autre maraîcher de l’époque décrivait leur profession comme étant « les orfèvres du sol ».

« The winter Harvest Handbook » Eliot Coleman – 2009

La culture intensive des légumes, telle qu’on la pratique dans les jardins professionnels où l’eau et le compost sont aisément disponibles, diffère des cultures de légumes habituelles dans ce sens qu’elles doivent être un processus ininterrompu tout au long de l’année, avec souvent de nombreux légumes différents plantés ensemble sur une même pièce de terre.

« Ma pratique de la culture maraîchère ordinaire et forcée » J. Curé 1904

Voici une présentation de la méthode de la Ferme du Bec Hellouin, développée à la Ferme du Bec Hellouin par Perrine et Charles HERVE-GRUYER. Elle est enseignée dans les formations se déroulant à la ferme.

A – Genèse

Perrine et Charles HERVE-GRUYER ont créé la Ferme du Bec Hellouin en 2006 avec le désir d’explorer une manière aussi naturelle que possible de cultiver la Terre. Ils ont débuté en traction animale et continuent à travailler avec le cheval de trait sur certaines parcelles.

La découverte de la permaculture en 2008 entre en profonde résonance avec leurs aspirations. Durant les deux premières années d’application des principes de la permaculture à la ferme, ils constatent une nette augmentation des rendements, mais aussi des difficultés liées au fait que, jusqu’à présent, ces applications ont été surtout développées dans la sphère des jardins privés et associatifs. Elles restent largement à adapter pour répondre aux attentes des professionnels de l’agriculture biologique. Plusieurs voyages d’étude à l’étranger (Japon, Angleterre, Cuba, USA) confirment cette impression. Réaliser un mariage fécond entre l’approche permaculturelle et l’agriculture biologique devient dès lors leur priorité.

Les concepts de la permaculture peuvent être appliqués à l’agriculture de diverses manières, selon les objectifs et la sensibilité de chacun. Perrine et Charles ont rapidement pris conscience du fait qu’un modèle plus vertueux d’un point de vue environnemental et sociétal doit, pour essaimer, faire la preuve de sa viabilité économique. Or, la pratique du maraîchage, de l’arboriculture, de la culture des petits fruits et des plantes aromatiques à la Ferme du Bec Hellouin est caractérisée notamment par un travail réalisé presque entièrement à la main, sur de petites surfaces. Comment être compétitif dans un monde où la main d’œuvre est chère et les énergies fossiles sous-évaluées ? Des pratiques agricoles remettant la main de l’homme au centre de la démarche, créatrices d’emplois, bien adaptées à l’ère de l’après pétrole qui s’annonce, peuvent-elles constituer une alternative économiquement viable dès aujourd’hui ?

Un modèle vraiment écologique peut-il être économiquement viable ?

La réponse s’impose, fidèle à l’esprit de la permaculture : faire du problème une solution. Cultiver à la main permet de réaliser des tâches pour lesquelles la mécanisation est moins adaptée : densifier les cultures, associer les végétaux… Encore faut-il pousser cette logique suffisamment loin pour que le travail manuel ne soit plus un handicap, mais devienne un atout. Créer, pour chaque mètre carré cultivé, une valeur suffisante pour rémunérer décemment le ou la maraîcher(e).

Perrine et Charles découvrent alors les travaux d’Eliot Coleman, l’un des pionniers de l’agriculture biologique aux USA, un maître en maraîchage. Coleman a notamment inventé un semoir manuel multi rangs de précisionpermettant d’atteindre des rendements très élevés. Sa ferme de 6000 m2 cultivés dans le Maine emploie 7 personnes en été et 4 en hiver ! Ils étudient également une autre expérience américaine, la micro-agriculture bio intensive popularisée par John Jeavons. Dans les livres de Coleman et de Jeavons, Perrine et Charles rencontrent pour la première fois une évocation de la riche tradition maraîchère parisienne au XIX° siècle. Les maraîchers parisiens, selon une méthode intensive dont le monde anglo- saxon a conservé la mémoire, nourrissaient la capitale en légumes de qualité produits intra muros, été comme hiver, réalisant jusqu’à 8 rotations de culture par an !

Une nouvelle conception du maraîchage bio

Perrine et Charles, de plus en plus soutenus par des amis et des agronomes, réalisent alors qu’il doit être possible de créer une méthode de maraîchage novatrice, synthèse de plusieurs influences : les concepts de l’agro-écologie et de la permaculture, les travaux de Coleman, John Jeavons et d’autres pionniers, l’héritage des anciens maraîchers parisiens. Cette nouvelle voie est appelée méthode de la Ferme du Bec Hellouin.

La question de la surface cultivée s’impose alors comme l’une des clés essentielles de la réussite de cette méthode. Quelle est la surface qu’un paysan, ou une paysanne, peut efficacement cultiver à la main, en culture sur butte notamment, l’un des systèmes les plus productifs qui soient ? Pour bénéficier d’un avantage concurrentiel en travaillant manuellement, il faut que la terre soit très intensément soignée. L’hypothèse, nourrie par l’expérience de la Ferme du Bec Hellouin, celles de Coleman et de Jeavons et par l’héritage des maraîchers parisiens, est que cette surface doit se situer autour de 1000 m2 cultivés. C’est très, très peu comparativement au maraîchage bio mécanisé, dans lequel les surfaces cultivées sont de l’ordre d’1 à 4 hectares par travailleur. En pratiquant de 3 à 8 rotations par an, la valeur créée au mètre carré peut atteindre plusieurs dizaines d’Euros, rendant alors un tel modèle compétitif, d’autant plus que les frais d’investissement et de fonctionnement sont considérablement diminués (foncier réduit, pas de mécanisation…).

Cette toute petite surface cultivée autorise l’essor de micro-fermes en permaculture en milieu urbain et péri-urbain, pour lesquelles l’accès au foncier constitue le frein majeur. Les micro-fermes en permaculture peuvent constituer une nouvelle porte d’entrée dans le monde agricole, actuellement très verrouillé.

Programme de recherche avec l’INRA et AgroParisTech

Depuis 2010, de nombreux agronomes français et étrangers sont venus visiter la Ferme du Bec Hellouin. Constatant un niveau de production particulièrement intensif et une diminution de la pollution générée, certains agronomes ont pensé que l’expérience méritait d’être scientifiquement validée et modélisée. François Léger, directeur de l’unité de recherche SADAPT, commune à l’INRA etAgroParisTech, et Charles ont formulé conjointement un projet de recherche intitulé « Maraîchage biologique en permaculture et performance économique » (cf site www.fermedubec.com). L’étude, démarrée fin 2011, doit durer 3 années. Des étudiants d’AgroParisTech réalisent leur mémoire dans ce cadre. Ce programme de recherche est financé par la Fondation de France, de la Fondation Lemarchand pour l’équilibre entre les Hommes et la Terre et de la Fondation Léa Nature, par l’unité SADAPT et par la Ferme du Bec Hellouin.

B – La méthode de la Ferme du Bec Hellouin

Voici une présentation synthétique de la méthode de la Ferme du Bec Hellouin. Précisons tout d’abord que cette approche ne s’inscrit pas contre d’autres systèmes de production agricole et ne prétend pas les remplacer. Elle cherche avant tout à répondre à cette interrogation :comment nourrir l’humanité sans détruire la planète ?

Chacun est libre de s’inspirer de la méthode de la Ferme du Bec Hellouin si elle correspond à ses aspirations, en l’adaptant à ses objectifs et à son contexte.

La méthode de la Ferme du Bec Hellouin est en cours d’élaboration et évoluera certainement en fonction des données recueillies dans le cadre de l’étude évoquée précédemment. Les éléments suivants constituent simplement une évocation des grandes lignes de sa forme actuelle.

1 – L’éthique :

La méthode de la Ferme du Bec Hellouin repose sur les fondements éthiques de la permaculture :

  • Prendre soin de la Terre.
  • Prendre soin des hommes.
  • Partager équitablement les ressources et les récoltes.

Elle cherche à explorer une manière d’habiter la Terre qui soit à la fois douce pour la nature et pour les hommes. Les besoins des êtres humains et leur bien-être sont pris en considération, comme ceux des plantes, des animaux et de la planète. Elle s’inscrit dans le long terme et se veut pleinement adaptée à l’ère post-carbone.

La méthode de la Ferme du Bec Hellouin travaille dans le sens de la vie, et non contre elle.

La méthode de la Ferme du Bec Hellouin n’est pas une règle rigide, d’autant plus qu’elle n’en est qu’aux premiers stades de son élaboration. Chaque paysan, chaque paysanne, riche de ses aspirations, de ses préférences et compétences, devra adapter cette méthode à ses choix et à son contexte pédo-climatique et social.

2 – Le paysan, la paysanne :

La méthode de la Ferme du Bec Hellouin est née d’une longue observation des rapports entre l’homme et la nature au sein de différentes civilisations, particulièrement des peuples premiers. Avant d’être un ensemble de choix techniques, elle est un positionnement. Le paysan se perçoit comme faisant partie de la nature et relié à tout ce qui la constitue. Il ne désire pas contrôler la nature, mais assister les forces de vie à l’œuvre dans la biosphère depuis des centaines de millions d’années. Il sait qu’il ne fait pas pousser les plantes : tout le programme de vie d’une plante est contenu dans la graine. Par son travail, le paysan cherche simplement à favoriser son épanouissement.

Le paysan essaye de faire le meilleur usage des éléments naturels : soleil, eau de pluie, azote et carbone atmosphériques, éléments minéraux de la roche mère… Il cherche à mettre à profit les fonctions remplies naturellement et gratuitement par les écosystèmes (auxiliaires utiles, fourniture de matière organique, mise à disposition d’éléments minéraux par les arbres…), plutôt que d’artificialiser la nature et devoir ensuite compenser par des intrants ou du travail. Il va donc essayer de créer une oasis de vie féconde et durable, qui produira une nourriture de qualité et bien davantage : de la beauté, une reconnexion à la nature, du lien social. Le paysan participe ainsi à la guérison de la planète. Il contribue à l’équilibre du monde.

3 – La micro-ferme :

Elle est conçue comme un agroécosystème diversifié et autonome, selon les concepts de l’agroécologie et de la permaculture. Elle comporte idéalement différents milieux.

La méthode de la Ferme du Bec Hellouin est particulièrement adaptée à des fermes maraîchères de toute petite taille, à une agriculture paysanne et familiale.

L’intensification des cultures maraîchères permet de libérer de l’espace agricole pour d’autres usages : pré-verger, petit élevage, forêt-jardin, haies fruitières, fruits rouges, mares… A surface égale (de l’ordre d’1 à 2 hectares), par rapport à une approche mécanisée du maraîchage diversifié, la ferme cultivée suivant la méthode de la Ferme du Bec Hellouin pourra offrir une diversité de productions plus grande, une meilleure autonomie en matière organique, une diversité accrue ainsi qu’un cadre de vie probablement plus agréable.

4 – Le rapport au temps :

Une démarche d’agriculture naturelle ne s’inscrit pas dans le même rapport au temps que l’agriculture productiviste. Elle n’est pas dans une logique de court terme, mais de moyen et long terme. Elle ne cherche pas à maximiser le profit sur l’année, mais à créer un agroécosystème qui deviendra de plus en plus fertile, diversifié, résilient et productif au fil des ans. En conséquence, le paysan ne cherchera pas forcément à corriger un déséquilibre (ravageur…), pour éviter d’en générer un autre par effet rebond, et préfèrera souvent laisser l’équilibre s’instaurer naturellement (apparition du prédateur du ravageur…).

Il faut toutefois veiller à l’équilibre économique à court terme de la ferme, de manière à franchir le cap toujours difficile des premières années, et planifier en conséquence l’installation des éléments qui ne sont « rentables » qu’à long terme : plantation d’arbres fruitiers, de haies, creusement de mares…, en fonction des possibilités d’autofinancement. Les cultures maraîchères, susceptibles de générer un revenu dès la première année, gagneront donc à être implantées en priorité.

5 – Diversification :

Il est toujours tentant de diversifier les productions et activités de la ferme. Des activités diversifiées apportent une plus grande sécurité économique et souvent davantage de satisfactions. Mais il faut veiller à trouver la diversité optimale (on ne peut pas tout faire, ni tout faire très bien…), et à ne pas aller trop vite. Chaque nouvel atelier génère des contraintes (matérielles, réglementaires, gestion du temps…), des investissements et nécessite des compétences. La dispersion est source de fatigue et de stress. Mieux vaut donc aller progressivement vers la diversification et introduire une nouvelle activité uniquement lorsque la précédente est bien maîtrisée.

Sur une ferme de toute petite surface, il est particulièrement intéressant de transformer sa production, en créant de la valeur ajoutée. Les fruits d’un pré-verger, transformés, peuvent voir leur valeur multipliée par un facteur 10 ou plus.

La vente directe est à l’évidence privilégiée à chaque fois que possible (amap, vente à la ferme, marchés…).

Une micro ferme, du fait du faible niveau d’investissement qu’elle nécessite, est propice à une pluriactivité. Une surface de l’ordre de 500 m2 cultivés procurera du travail quelques jours par semaine et laissera la disponibilité d’exercer une autre profession.

6 – Les arbres :

Planter un grand nombre d’arbres fruitiers (y compris des fruits à coque si l’on a la place) est d’un intérêt majeur. Les arbres sauveront la planète ! Ils stockent du carbone, créent un microclimat et remplissent de nombreuses fonctions écologiques tout en donnant des récoltes savoureuses et excellentes pour la santé. Ils ne nécessitent que relativement peu de soins, d’intrants et d’énergie une fois implantés. Ils sont un facteur d’équilibre pour les humains et pour l’ensemble de la biosphère.

Idéalement une ferme cultivée suivant la méthode de la Ferme du Bec Hellouin comptera un grand nombre d’arbres fruitiers (haies fruitières, forêt jardin, maraîchage pratiqué en agroforesterie, pré-verger…).

A chaque fois que possible le paysan implantera des systèmes étagés (sur et sous le sol), en associant par exemple des arbres fruitiers, des fruits rouges ou d’autres plantes hautes et des légumes. De tels systèmes sont plus complexes à installer et nécessitent une bonne gestion de la lumière et de l’eau, mais offrent de grands avantages en termes de biodiversité, de productivité et d’agrément.

7 – La biodiversité :

La biodiversité – sauvage ou cultivée – sera importante au sein de la micro ferme, qui deviendra au fil des ans un refuge pour de nombreuses formes de vie. Un espace « sauvage » sera réservé, aussi petit soit-il. La biodiversité remplit diverses fonctions écologiques, rend le système plus résilient face aux aléas climatiques et participe à la sauvegarde du patrimoine naturel mondial.

La biodiversité est aussi une source d’équilibre et de joie pour les humains – comment décrire le bonheur que représentent les visites des martins-pêcheurs dans les mares, l’apparition des écrevisses, des hérissons, des couleuvres et des crapauds, des carabes, les nichées de poules d’eau ou de colverts ? Sans parler de la plus value que peut représenter la récolte de plantes sauvages : fleurs de mauves, de reine des prés, de camomilles, etc ?

8 – Les microclimats :

La conception de la ferme cultivée suivant cette méthode accorde une grande importance à la création de microclimats bénéfiques aux cultures. Les légumes apprécient la chaleur (qui peut être augmentée par la présence d’un plan d’eau côté sud du jardin, qui renverra des rayons solaires indirects vers les cultures), ils aiment être abrités du vent (par exemple par une forêt jardin implantée du côté des vents dominants). Un ombrage partiel en été peut être bénéfique (agroforesterie).

Le mode de culture sur buttes favorise également la création d’un microclimat bénéfique, frais et humide, sur les 5 premiers centimètres au-dessus et au-dessous de la surface du sol, créant des conditions idéales pour la croissance des plantes.

9 – La surface cultivée :

En maraîchage diversifié sur buttes permanentes, la surface cultivée est très petite (de l’ordre de 1000 m2 par travailleur, dimension à adapter aux capacités de chacun), mais très intensément soignée. Les légumes de plein champ de type pomme de terre et courges nécessitant davantage d’espace peuvent être cultivés selon des méthodes plus classiques (traction animale…).

Densifier les cultures maraîchères sur une toute petite surface présente des avantages qui sont, eux, de taille : la ferme peut être créée sur une surface restreinte (en milieu urbain par exemple), ou bien, à surface égale, de l’espace est libéré pour d’autres usages (voir paragraphe 3 : la micro-ferme).

10 – L’intensité des soins :

L’une des principales caractéristiques de cette méthode est la place centrale donnée à la main humaine, plutôt qu’à la machine. De nombreuses études ont mis en évidence un lien direct entre l’intensité des soins et le niveau de productivité. Un paysan ou une paysanne expérimentés, sur un sol vivant et fertile, peuvent produire des quantités de légumes réellement importantes, avec relativement moins de frais d’investissement et de fonctionnement qu’une exploitation classique (de plus grande taille, mécanisée).

Le lien entre travail manuel et petite taille s’impose comme l’une des clés du succès de cette approche. Cette combinaison offre des possibilités intéressantes : celle de créer un sol d’un très haut niveau de fertilité, celle de cultiver un grand nombre d’espèces, ce qui est un atout pour certains marchés…

Le paysan s’appropriant la méthode de la Ferme du Bec Hellouin devra lutter contre la tendance à mettre en culture des surfaces trop importantes qu’il ne pourra pas soigner intensément à la main. En se positionnant à cheval entre deux logiques, deux approches du maraîchage diversifié, le risque est réel de cumuler les inconvénients propres à chaque approche. Un maraîcher mécanisé pourra tester la méthode de la Ferme du Bec Hellouin sur quelques planches témoins afin de se faire une opinion et de l’adopter s’il en est satisfait.

11 – Les énergies :

Le soleil est la source presque exclusive d’énergie de la ferme. Grâce à la photosynthèse réalisée par les plantes, les fruits et légumes peuvent être considérés comme des concentrés d’énergie solaire, stockée, transportable… Le travail de l’homme et de l’animal de trait, la création de biomasse, le recours aux auxiliaires naturels sont des formes diverses d’utilisation de l’énergie solaire.

Le recours aux énergies fossiles n’est pas complètement exclu et dépend du positionnement de chacun. Lors de la phase initiale de création de la ferme, il peut être judicieux de faire appel à un prestataire ou un voisin agriculteur pour créer mares et talus, creuser les trous de plantation des arbres, apporter des quantités importantes de fumier… Ensuite, l’outillage utilisé est essentiellement manuel, mais un petit motoculteur facilite la création des buttes en ameublissant le sol avant le pelletage manuel, et un micro-motoculteur ne travaillant que les 5 premiers centimètres du sol est utile pour l’émiettage du compost ou des débris racinaires de la culture précédente… Dans une approche professionnelle et dans le contexte actuel qui ne favorise pas un travail entièrement manuel (coût élevé de la main d’œuvre), il convient peut être d’éviter une perspective trop « jusqu’auboutiste », tout en sachant qu’une pénurie totale de pétrole ne pénaliserait pas réellement les cultures de la ferme.

12 – Les sols :

La fécondité de la ferme repose à l’évidence sur la qualité des sols. Ils doivent être l’objet de tous les soins. Le bon niveau de santé des sols détermine toute l’activité de la ferme. Ils doivent progressivement devenir aussi vivants et naturels que possible, fertilisés de manière adaptée, travaillés avec respect, le travail mécanique étant exceptionnel. La culture sur buttes permanentes répond à ces objectifs.

Les soins prodigués à la terre peuvent être divisés en deux phases :

  • La première phase va être consacrée à la création du sol. Il est rarement d’emblée de qualité optimale. Pendant plusieurs années, le paysan va s’attacher à augmenter la teneur en matière organique, corriger le PH si nécessaire, améliorer la structure, combler les manques éventuels en éléments nutritifs, dynamiser la vie… L’un des moyens utilisés peut être un apport massif de fumier bien décomposé ou de compost, jusqu’à 1000 tonnes à l’hectare, lors de la création des buttes, ce qui permet un vrai bond en avant. Ce processus de création du sol est facilité par l’espace restreint et bien circonscrit des buttes.
  • Dans un second temps, lorsque les analyses confirment que le sol est fertile, équilibré et vivant, on rentre dans une phase d’entretien – même si la fertilité, bien gérée, devrait s’améliorer naturellement d’année en année. Les apports de compost continuent à être importants pour soutenir la production élevée. La fertilisation est abordée différemment selon le type de butte.
  • Le paysan prêtera une attention particulière à la vie du sol : vers, micro-organismes efficaces (EM), mycorhizes…

13 – Compost :

Le compostage est particulièrement soigné. Des quantités importantes de compost sont nécessaires. Le compostage peut être partiellement réalisé en place, sur les buttes rondes et même dans les allées, par une gestion attentive des mulchs.

La petite surface cultivée, nous l’avons vu, peut permettre de libérer de l’espace pour associer éventuellement un petit élevage aux cultures (pré-verger et haies fruitières pour une pâture de moutons, un animal de trait, une basse cour…), de manière à optimiser l’autonomie de la ferme en matières organiques compostables.

14 – Les buttes de culture :

Le maraîchage est pratiqué sur trois types de buttes de culture :

  • Des buttes arrondies, ne nécessitant que peu de travail une fois mises en place. Elles sont généralement paillées et le compostage en place des mulchs, à condition qu’ils soient diversifiés et équilibrés, peut constituer une fertilisation suffisante (à adapter de manière fine selon les exigences des cultures). Ces buttes arrondies servent le plus souvent aux repiquages de jeunes plants démarrés sous abri.
  • Des planches plates, de 80 cm de large, non mulchées, qui servent le plus souvent aux semis en place, réalisés à l’aide de semoirs multi-rangs de précision (12 rangs de petits légumes par butte). Ces planches nécessitent davantage d’interventions : passage à la grelinette entre chaque culture, travail du sol sur les 5 premiers centimètres et apport de compost.
  • Des buttes arrondies bâchées à l’aide de toile tissée (fabriquée à partir de pétrole, mais dont l’usage se justifie par une durée de vie longue, dix ans ou plus). Ces buttes ne nécessitent pratiquement pas d’entretien une fois mises en place, et offrent des récoltes tout en libérant du temps au maraîcher. Elles sont bien adaptées pour des cultures de grandes plantes vivaces comme la rhubarbe, l’artichaut et les fruits rouges. Ces buttes peuvent prendre place entre des arbres fruitiers. Elles peuvent aussi servir pour des cultures d’annuelles comme la tomate, le concombre sous abri, et être débâchées le reste de l’année pour des cultures complémentaires.

15 – Polyculture :

Les associations de culture (de 2 à 4 légumes cultivés simultanément) sont pratiquées à chaque fois que possible. La polyculture est facilitée par le travail réalisé à la main.

Il faut toutefois veiller à ne pas trop mélanger les plantes sur une même butte, 4 semble être un maximum, car trop de complexité augmente le temps de récolte et peut rendre le système ingérable dans une perspective professionnelle. La polyculture est réalisée à l’échelle du jardin, de butte en butte, ce qui impose de garder une trace écrite des successions de cultures pour une bonne gestion des rotations.

16 – Arrosage :

La forte teneur des sols en matière organique, les paillages, la densité des cultures retiennent l’eau et limitent l’évaporation. Les besoins en arrosage sont réduits.

17 – Adventices :

Le non travail du sol, les paillages et l’intensité des soins diminuent considérablement le désherbage.

18 – Surface couverte :

Elle peut varier selon les climats et les objectifs de chaque ferme. Si la ferme doit produire toute l’année, la surface couverte peut être d’environ 400 à 500 m2 cultivés. Il faut noter que, si la surface couverte est relativement importante par rapport à la surface cultivée, elle est plutôt faible par rapport aux normes habituelles, par travailleur, en maraîchage biologique.

Une double protection contre le froid est généralement pratiquée en hiver de manière à prolonger la saison de culture.

19 – Semences :

Idéalement, une partie au moins des semences est produite sur la ferme.

20 – Qualité de vie :

« Le plaisir est aussi une récolte », écrivait Bill Molisson, l’un des fondateurs de la permaculture. La méthode de la Ferme du Bec Hellouin est davantage l’extension d’un jardin que la réduction d’une ferme mécanisée. De tous temps les jardins ont été des lieux heureux.

Les fermes de demain rempliront probablement plusieurs fonctions, en sus de leur fonction nourricière. Elles seront des lieux de pédagogie, d’éducation à l’environnement et à la santé, de reconnexion des humains à la nature, y compris à leur nature profonde, tout en étant créatrices de lien social et de sens. Chaque ferme, chaque jardin peut contribuer à sa manière à réconcilier les hommes et la biosphère.

En conclusion, l’objectif de la méthode de la Ferme du Bec Hellouin est d’intégrer de nombreuses pratiques bénéfiques, en vue de créer des micro-fermes fonctionnant autant que possible comme des écosystèmes naturels et produisant une nourriture de qualité en abondance. Cette méthode s’inscrit à contre courant des tendances majeures de l’agriculture moderne dominante, qui préconise des exploitations toujours plus grandes et une mécanisation plus poussée. La méthode de la Ferme du Bec Hellouin est bien adaptée à une petite agriculture paysanne et familiale, à des produits de qualité dans l’esprit de Slow food, à une transformation à la ferme ainsi qu’à une commercialisation en circuits courts. Elle est particulièrement bien adaptée à une micro-agriculture urbaine.

par Charles et Perrine Hervé-Gruyer